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La Gouvernance Participative en période de transition démocratique : Présentation de la Conférence Annuelle de Jasmine Foundation

 Le 11 et 12 juin 2015, s’est tenue la Conférence Annuelle de Jasmine Foundation sur le thème de la Gouvernance Participative.

Dans son allocution d’ouverture, Dr Tesnim Chirchi, la directrice de Jasmine Foundation a expliqué que le choix d’axer la Conférence Annuelle autour du thème de la Gouvernance Participative n’est pas anodin « La gouvernance participative est une manière de penser et d’aménager la liberté et la citoyenneté au sein d’une société. Sa compréhension est fortement liée à la réforme de l’État en période de transition démocratique ».

Article 2

La gouvernance participative est une manière de concevoir la Démocratie représentative de manière plus collaborative. La gouvernance participative prend en compte les institutions classiques de la Démocratie, telles que le Parlement, mais tend à inclure d’avantage d’acteurs dans le processus de prise de décision. L’objectif de la Conférence Annuelle de Jasmine Foundation était de faire le panorama des moyens par lesquels chaque citoyen peut participer à l’exercice du pouvoir et la mise en œuvre des politiques au niveau local et national.

Dr Tesnim Chirchi a insisté sur l’importance pour les Tunisiens de créer leur propres modèles de gouvernance participative, «La participation n’est pas seulement une idée, il s’agit de créer des mécanismes qui reflètent les spécificités tunisiennes. La Constitution consacre la décentralisation, mais comment s’assurer qu’elle devienne une réalité ? »

Pour répondre à cette problématique, quatre figures du monde académique, de la sphère politique, et de la coopération internationale se sont exprimés. André Roux, Madi Sharma, Jamal Eddine Garbi, et Imed Hammami ont livré leur vision de la gouvernance participative en Tunisie en 2015.

Article 3
André Roux, est professeur de droit public à l’Université Aix-Marseille, il est l’un des spécialistes français de la réforme de la Décentralisation. Il est notamment directeur de la Revue Française de Droit Constitutionnel.

 

Le professeur André Roux a délivré une intervention sur les rapports qu’entretiennent la décentralisation et l’application de la Démocratie participative au niveau local.
Il a rappelé, que ce lien n’allait pas de soi, la décentralisation n’impliquant pas nécessairement une gouvernance participative au niveau local. En effet, on observe que dans la plupart des Etats qui ont adopté une réforme de la décentralisation, celle-ci a tout d’abord profité aux élus locaux, qui se voyaient confier plus de pouvoirs et de compétences par l’État central.  La population à été le plus souvent écartée du processus de décentralisation, sans parler de la société civile, qui n’est souvent mise à contribution qu’à l’approche des élections.

Selon le professeur Roux, le véritable défi, se situe dans le passage d’une décentralisation sur-mesure pour les élus locaux, à une décentralisation qui profite aux citoyens, avec pour moteur la société civile.

Il note aussi que le modèle tunisien a cela d’original qu’il a consacré la Gouvernance participative, au rang d’objectifs à valeur constitutionnelle. En effet, la Constitution Tunisienne précise dans son article 139 que la Démocratie participative s’exerce à travers la mise en place de mécanismes d’inclusion des citoyens et de la société civile dans le processus de prise de décision.

Le professeur Roux, a ensuite présenté différentes approches de la gouvernance participative, permettant ainsi de mieux cerner l’évolution des pratiques démocratiques.

Dans l’approche fonctionnelle de la gouvernance participative, l’objectif est d’améliorer la gestion locale, suivant la logique que mieux gérer, c’est gérer avec les citoyens. Il faudrait incorporer dans le processus de décisions publiques, les aspirations des populations. Ainsi, les processus seront d’autant plus efficaces, et les conflits mieux gérés.  Le but est d’optimiser la rationalité des décisions.

L’approche substantielle, quant à elle comprend la gouvernance participative, comme une voie permettant d’améliorer la cohésion sociale. Ainsi dans certains quartiers, la gestion participative favorise la paix  sociale, surtout dans des contextes où elle est fragile. Elle permet de retisser la confiance entre les citoyens et les institutions de l’État.

Professeur Roux a aussi rappelé que la valeur clé de la gouvernance participative est la transparence, les élus agissant sous le regard des citoyens. La gouvernance participative locale implique de connaitre les attentes des citoyens, elle permet d’engager les électeurs dans la mise en œuvre des politiques locales, mais également dans le suivi et d’évaluation des politiques publiques.

Plusieurs niveaux de démocratie peuvent être distingués: tout d’abord, la démocratie informative, qui renvoie au droit des habitants à être informés. Elle exige la publicité des actes et des projets, notamment du budget, mais encore faut-il que ceux-ci soient compréhensibles pour la population.

Le deuxième stade, est la démocratie associative, qui peut fonctionner à l’échelon territorial et infra territorial. Elle s’exprime à travers les conseils de quartiers et les commissions d’information des services publics locaux, qui permettent aux associations d’usagers du service public de participer à l’évaluation et à la réforme des services.

Le troisième stade est la démocratie consultative, qui se traduit par le système des débats publics via des commissions consultatives mais aussi des référendums consultatifs, généralement déclenchés à l’initiative des élus. Encore trop peu de pays accordent aux citoyens le droit de déclencher un referendum (initiative populaire).

Enfin le quatrième stade est la démocratie délibérative, via le référendum décisionnel, où on laisse à la population le soin de trancher par elle-même.

En conclusion, le professeur Roux a tenu à rappeler qu’il arrive que ces mécanismes soient instrumentalisés par les élus. Ils les conçoivent comme des organes de communication, voir de contrôle des associations. Certaines approches critiques, démontrent en effet que parfois ces mécanismes peuvent être récupérés pour devenir des procédés de cooptation, les associations qui participeront à ces consultations devenant les seules légitimes, et s’érigeant au rang d’acteurs politiques institutionnels, bien que ces « professionnels de la participation» puissent être coupés de la base. À cet égard une étude menée sur les conseils de quartiers en France a démontré que les jeunes ne sont pas très présents, et les classes favorisées sont surreprésentées. En Tunisie comme ailleurs, le défi reste de mobiliser les couches populaires, et de s’assurer d’une représentativité réelle des acteurs associatifs engagés dans les consultations publiques.

Article 4

Madi Sharma est la fondatrice et directrice du Groupe international Madi, incluant des entreprises à but non-lucratif et des ONG. Elle est aussi membre du comité européen économique et social à Bruxelles.

Madi Sharma a livré un discours  enthousiasmant sur l’implication du Conseil Economique et Social de l’Union Européenne (ESEC) envers la société civile en général, et son intérêt tout particulier pour le contexte tunisien. Elle a salué la bonne marche de la transition tunisienne malgré les défis auxquels est confronté le peuple tunisien. Madi Sharma a ensuite présenté le rôle de l’ESEC dans la promotion du dialogue entre la société civile, le monde des affaires, et les autorités publiques. La relation tripartite entre ces différents acteurs qui représentent les intérêts d’une région de plus de cinq cents millions d’habitants, repose sur le Consensus.

A ce propos, Madi Sharma a salué les efforts des Tunisiens en termes de dialogue, elle a confié que cet esprit d’initiative et de consensus a encouragé l’ESEC à  renforcer le rôle de  l’Union Européenne dans la région.  A cette occasion, l’ESEC a envoyé une délégation européenne mener une étude de terrain, sur les besoins de la société civile en Tunisie qui a aboutit à un rapport rédigé en étroite collaboration avec les experts de Jasmine Foundation .  Ce rapport sera présenté prochainement à l’Union Européenne.

Madi Sharma, a souligné combien elle était consciente du défi de la décentralisation en Tunisie, qu’ainsi l’implication de la société civile dans ce volet ne pouvait qu’être profitable.  Enfin, elle a assuré que la société civile tunisienne recevrait le soutien approprié de la part de l’Union européenne pour relever ce challenge, afin que la transition démocratique tunisienne reste une inspiration pour le reste du Monde.

Article 5

Imed Hammami est député à l’Assemblée des Représentant du Peuple. Il a été membre de l’Assemblée Nationale Constituante, où il a, entre autres, présidé la commission des collectivités publiques, régionales et locales.

Imed Hammami a débuté son intervention en remettant la dynamique de la révolution dans son contexte. En effet, le point de départ de la révolution tunisienne était le niveau local. De manière spontanée, les protestataires se sont unis contre les autorités locales, qui étaient devenues les uniques représentants de l’État, et des autorités centrales, en lieu et place des communautés locale et ses habitants. Les municipalités étaient devenues des unités locales au service de la Dictature, qui supervisaient et contrôlaient les citoyens pour le compte du ministère de l’intérieur. Il faut ajouter à cela, que les municipalités détenaient en réalité peu de pouvoir, et leur rôle au niveau local était limité.

Lorsque Ben Ali a quitté la tête du régime, et avant que les citoyens soient appelés aux urnes pour élire les membres  de l’Assemblée nationale Constituante, la Tunisie se trouvait dans une situation de fragilité constitutionnelle. Ce qui a maintenu la nation debout, selon Imed Hammami, ce sont les personnes, qui au niveau local se sont unies pour sauvegarder l’esprit de la révolution et protéger les populations locales ainsi que leurs biens.

Monsieur le député souligne que la gouvernance participative est indissociable de la confiance que portent les citoyens aux autorités, elle doit pouvoir s’implanter rapidement afin de démontrer aux citoyens ses effets réels.

L’une des innovations de la Constitution de 2011 est la pleine consécration de la notion d’autorités locales. Dans la Constitution de 1959, les collectivités locales étaient mentionnées dans un seul article, et il n’était pas question d’élections. L’ancienne Constitution donnait des pouvoirs très larges aux gouverneurs, ce qui a créé un chevauchement entre la décentralisation et la déconcentration, où l’autorité qui représentait l’État central était aussi celle qui supervisait les autorités locales. La nouvelle Constitution introduit une compréhension moderne des pouvoirs locaux.

La gouvernance participative ne s’illustre pas uniquement au niveau au local, à ce propos Imed Hammami rapporte qu’au sein même des commissions et des plénières de l’ANC, les députés appliquaient le principe de gouvernance participative dans sa forme la plus aboutie. La Constitution tunisienne a été rédigée de manière participative, en incluant la société civile: experts et organisations non-gouvernementales tunisiennes, et internationales, afin de s’inspirer des bonnes pratiques expérimentées à l’étranger, et dans le but de façonner un modèle adéquat en Tunisie. Le terrain ne fut pas en reste, puisque de nombreuses études furent menées en Tunisie, afin d’identifier les besoins réels des citoyens. Un véritable dialogue s’est instauré dans toutes les régions. Ce qui amène M. Hammami à conclure que la Constitution tunisienne, rédigée dans une Assemblée dont les portes furent grandes ouverte aux citoyens, est une expérience prometteuse dans la tradition émergente de gouvernance participative en Tunisie.

Article 6

Jamal Eddine Gharbi a été ministre du développement régional et de la planification au gouvernement tunisien. Il est vice-président de l’Université de Jandouba, où il enseigne le marketing. Il est également chef de la section du centre de réflexion stratégique pour le développement du Nord-Ouest, à Jendouba.

Jamal Eddine Gharbi analyse qu’en Tunisie, un pas supplémentaire est en passe d’être franchi avec la mise en œuvre de la Démocratie participative au niveau local. Il rappelle toutefois, que la Démocratie participative n’est pas une finalité en soi, mais un moyen de réaliser le développement humain, institutionnel et économique. La Démocratie est un mode de structuration de l’espace public, des pouvoirs et des ressources. Les structures démocratiques nécessitent d’être façonnées de manière à servir les besoins locaux et parachever les objectifs de développement.

Jamal Eddine Gharbi identifie la réforme du modèle de développement comme le principal chantier en Tunisie. Il explique notamment qu’un modèle n’est pas une série de règles, mais un ensemble de pratiques culturelles collectives et individuelles. La structure d’un modèle est faite de plusieurs éléments : une compilation de normes et valeurs, une structure qui organise le pouvoir, et l’accès aux ressources avec la possibilité d’exercer une influence sur la conduite des rapports sociaux. La gouvernance participative, ne peut se concevoir sans ses éléments.

Il ajoute, que le développement n’est rien de moins que la liberté de réaliser ses propres capacités. La décentralisation, est quant à elle, le renforcement des capacités d’action des individus et des structures locales. Enfin, il estime que s’il n’y a pas de corrélation directe entre le développement, la décentralisation et la bonne gouvernance, ces éléments s’organisent de manière dialectique, et ont une influence indéniable l’un sur l’autre. Ainsi, développement, décentralisation, et bonne gouvernance doivent être pensés de manière globale et interdépendante, dans une dynamique où chaque élément est au service de l’autre.

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