{"id":1104,"date":"2014-03-03T12:22:51","date_gmt":"2014-03-03T11:22:51","guid":{"rendered":"http:\/\/www.jasminefoundation.org\/?p=1104"},"modified":"2015-06-29T15:34:45","modified_gmt":"2015-06-29T14:34:45","slug":"entretien-avec-meherzia-labidi-vice-presidente-de-lassemblee-nationale-constituante","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/?p=1104","title":{"rendered":"Entretien avec Meherzia Labidi, vice-pr\u00e9sidente de l’Assembl\u00e9e Nationale Constituante"},"content":{"rendered":"

Pourquoi la Tunisie a choisi d\u2019avoir une Constitution \u00e9crite par une assembl\u00e9e nationale constituante \u00e9lue et non\u00a0<\/strong>un comit\u00e9 d\u2019experts ?<\/strong><\/p>\n

Cela ressemble plus au peuple tunisien. Les \u00e9lus qu\u2019il a envoy\u00e9 ici par le biais des \u00e9lections d\u2019Octobre 2011 devaient \u00e9crire cette constitution afin de respecter les demandes r\u00e9volutionnaires. Il nous fallait discuter afin de pouvoir b\u00e2tir une constitution ensemble et ce malgr\u00e9 toutes les emb\u00fbches et le retard que nous avons d\u00fb g\u00e9rer.<\/p>\n

Ce processus refl\u00e8te la diversit\u00e9 des Tunisiens et a permis les ajustements qui feront que chacun aura sa place dans cette soci\u00e9t\u00e9. Il exprime aussi leurs peurs de retour \u00e0 la dictature, la peur d\u2019\u00eatre le parent pauvre de cette constitution, la peur de l\u2019autre tunisien, celui qui vient de l\u2019\u00e9tranger, celui qui n\u2019est pas aussi tunisien que moi, celui qui ne me ressemble pas.<\/p>\n

Mais, je tiens \u00e0 rappeler que cette constitution n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 uniquement \u00e9crite par les d\u00e9put\u00e9s. C\u2019est une \u0153uvre commune aux d\u00e9put\u00e9s et \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 civile dans son ensemble et cela tr\u00e8s peu de pays l\u2019ont fait. Nous avons pu conduire un d\u00e9bat national sur la Constitution avant sa promulgation. Nous avons \u00e9t\u00e9 \u00e0 la rencontre des Tunisiens en organisant 24 meetings en Tunisie et 16 \u00e0 l\u2019\u00e9tranger avec les membres de la diaspora.<\/p>\n

Les repr\u00e9sentants des associations, des organisations nationales et internationales, les repr\u00e9sentants des femmes, des droits de l\u2019enfant, les handicap\u00e9s, les d\u00e9fenseurs de l\u2019environnement, les repr\u00e9sentants de l\u2019arm\u00e9e, tous ces gens-l\u00e0 ont \u00e9t\u00e9 entendus par les 6 commissions constitutionnelles.<\/p>\n

Les experts ont aussi contribu\u00e9 \u00e0 ce travail en accompagnant toutes les \u00e9tapes de la r\u00e9daction. Au d\u00e9but c\u2019\u00e9tait des discussions, comme on partait d\u2019une feuille blanche, toutes les suggestions \u00e9taient possibles et ils ont particip\u00e9 \u00e0 organiser nos d\u00e9bats. Vous vous rappelez la fameuse phrase du grand juriste Iyadh Ben Achour : \u00ab cette Constitution, je lui donne 0\/20 \u00bb, depuis il a chang\u00e9, il a donn\u00e9 un 10\/20 puis, il para\u00eet qu\u2019aujourd\u2019hui, nous avons une moyenne honorable.<\/p>\n

Le vrai brouillon de la Constitution, d\u2019Avril 2013 a \u00e9t\u00e9 revu et corrig\u00e9. Le premier projet de Juin 2013 a \u00e9t\u00e9, lui aussi, \u00e9tudi\u00e9 et revu de fond en comble. La Commission de Venise nous a donn\u00e9 son avis, la Fondation Carter nous a donn\u00e9 son avis, la DRI a donn\u00e9 son avis, le PNUD nous a donn\u00e9 son avis.<\/p>\n

N\u2019oublions qu\u2019\u00e0 travers le d\u00e9bat national, il y a eu deux grands groupes d\u2019experts qui se sont exprim\u00e9s. Il y a ceux qui nous ont accompagn\u00e9 depuis Juin 2013, moi, je les appelle le groupe \u00ab Pr Hafedh Ben Salah \u00bb car c\u2019est lui qui chapeautait ces constitutionnalistes venus de toutes les universit\u00e9s du pays.<\/p>\n

Puis, il y a le deuxi\u00e8me groupe qui nous a rejoints r\u00e9cemment, au mois de D\u00e9cembre 2013, le groupe \u00ab Iyadh Ben Achour \u00bb et tous les deux nous ont donn\u00e9 leur avis pour revoir et corrig\u00e9 le sens et le contenu du texte. De plus, il y a trois experts en langues qui ont veill\u00e9 aux formulations. Ainsi, pour \u00eatre tout \u00e0 fait juste, c\u2019est l\u2019\u0153uvre \u00e0 la fois des d\u00e9put\u00e9s et de la soci\u00e9t\u00e9 civile sous le regard vigilant des experts.<\/p>\n

Quelles sont pour vous les avanc\u00e9es majeures de la nouvelle Constitution?<\/strong><\/p>\n

Tout d\u2019abord, il y a un eu grand effort de r\u00e9conciliation entre l\u2019enracinement de la Tunisie dans dans la culture arabo-musulmane, je dirais m\u00eame plus que cela va loin d\u00e8s le d\u00e9but de son histoire, avec l\u2019h\u00e9ritage carthaginois, mais aussi une volont\u00e9 de red\u00e9couvrir son islamit\u00e9. Nous avons ent\u00e9rin\u00e9 l\u2019ouverture sur l\u2019universel et les autres exp\u00e9riences humaines par rapport \u00e0 ce qu\u2019elles nous apportaient en termes de droits humains, de pluralisme, de respect de l\u2019environnement. Il y a un attachement strat\u00e9gique \u00e0 l\u2019enracinement dans une logique arabe et africaine et cela se refl\u00e8te dans le Pr\u00e9ambule, o\u00f9 nous avons fait un jeu d\u2019\u00e9quilibre pour rassembler toutes les ressources de notre appartenance et de notre aspiration \u00e0 nous ouvrir sur le monde et \u00e0 \u00eatre dans le monde, ici et maintenant.<\/p>\n

Certains trouvent que ce texte est un patchwork, je leur dis, quand bien m\u00eame ce serait un patchwork, c\u2019est un beau patchwork et dans le patchwork, il y a un c\u00f4t\u00e9 artistique. Il y a dans ce pr\u00e9lude l\u2019envie des Tunisiens dans leur diversit\u00e9 \u00e0 se rassembler, avec leurs conflits et leurs diff\u00e9rences, la volont\u00e9 de trouver un d\u00e9nominateur commun et \u00e0 \u00eatre eux-m\u00eames, tout en \u00e9tant un trait d\u2019union entre le monde arabo-musulman et le reste du monde.<\/p>\n

Le chapitre Droits et Libert\u00e9s en est un exemple. Je suis sinc\u00e8rement fi\u00e8re de ce chapitre, parce qu\u2019on s\u2019est projet\u00e9 dans l\u2019avenir et pas seulement pour nous Tunisiens, mais pour toutes les soci\u00e9t\u00e9s arabo-musulmanes. Tout d\u2019abord parce que les droits et les libert\u00e9s accord\u00e9es sont nombreux, nous \u00e9tablissons l\u2019\u00e9galit\u00e9 entre citoyens et citoyennes. Nous avons \u00e9voqu\u00e9 les jeunes, les enfants, les handicap\u00e9s, les travailleurs, les Tunisiens vivant \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, les g\u00e9n\u00e9rations futures, les intellectuels, les artistes, les sportifs, nous avons essay\u00e9s de garantir les droits de tous, et gr\u00e2ce aux experts vigilants, mais aussi \u00e0 l\u2019UNESCO, nous avons \u00e9t\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9coute des voix de sagesse venant de l\u2019int\u00e9rieur et de l\u2019ext\u00e9rieur de notre pays.<\/p>\n

Nous avons pu r\u00e9sister \u00e0 la volont\u00e9 de mettre des limites aux libert\u00e9s et avons fait front commun face au repli identitaire. Je trouve que ce chapitre est une vraie fiert\u00e9. Il y a une aussi une belle avanc\u00e9e dans le chapitre concernant le pouvoir judiciaire car c\u2019est la premi\u00e8re fois que la Tunisie est dot\u00e9e d\u2019une v\u00e9ritable ind\u00e9pendance de ce troisi\u00e8me pouvoir ainsi que d\u2019une Cour Constitutionnelle.<\/p>\n

Le chapitre sur les instances constitutionnelles repr\u00e9sente la garantie d\u2019une meilleure gouvernance. L\u2019enjeu reste de trouver un \u00e9quilibre entre les diff\u00e9rentes institutions car il faut veiller \u00e0 ne pas fragmenter l\u2019Etat et l\u2019affaiblir. Enfin, la voix de la R\u00e9volution dans la Constitution, c\u2019est le chapitre 7 sur la d\u00e9centralisation, car c\u2019est l\u00e0 que se trouve le vrai sens de la d\u00e9mocratisation par le bas.<\/p>\n

Je crois que le Chapitre 7 sur la d\u00e9centralisation est la r\u00e9alisation constitutionnelle et juridique du slogan r\u00e9volutionnaire : \u00abel chaab yourid\u00bb, (le peuple veut). D\u2019ailleurs, il a \u00e9t\u00e9 tellement bien travaill\u00e9 que peu d\u2019amendements ont \u00e9t\u00e9 n\u00e9cessaires \u00e0 son adoption.<\/p>\n

Comment qualifiez l’\u00e9volution de votre propre parti tout au long du processus?<\/strong><\/p>\n

Ce que je vais dire de ma famille politique qui est le Mouvement Ennahdha n\u2019est pas si diff\u00e9rent de mon avis sur le reste de l\u2019\u00e9chiquier politique. Ces deux ans ont \u00e9t\u00e9 une vraie \u00e9cole d\u2019apprentissage du pluralisme et de la d\u00e9mocratie. Ce f\u00fbt l\u2019occasion de parler avec l\u2019autre, de se d\u00e9couvrir mais aussi d\u2019apprendre \u00e0 faire de la place \u00e0 l\u2019autre, m\u00eame s\u2019il est infiniment minoritaire dans cette assembl\u00e9e<\/p>\n

L\u2019avenir de la d\u00e9mocratie en Tunisie, d\u00e9pend beaucoup du genre de rapport que l\u2019on instaure avec l\u2019autre et comment on accepte les exigences de l\u2019autre, comment on r\u00e9agit aux opinions des autres, comment on r\u00e9pond \u00e0 la provocation de l\u2019autre et enfin comment d\u00e9passer l\u2019inimiti\u00e9 de l\u2019autre.<\/p>\n

On est arriv\u00e9 parfois dans cette assembl\u00e9e \u00e0 \u00eatre accus\u00e9 de tout. Des tra\u00eetres, des tueurs, des assassins, des r\u00e9actionnaires, des moins-que-rien. Comment donc d\u00e9passer tout cela pour arriver au moment crucial o\u00f9 on peut s\u2019entendre et avancer ?<\/p>\n

Nous avons d\u00fb faire face \u00e0 de grandes crises, des crises pendant lesquelles j\u2019ai pr\u00e9sid\u00e9 les s\u00e9ances pl\u00e9ni\u00e8res et lors desquelles il a fallu accepter le droit de l\u2019autre \u00e0 se retirer. Il a fallu faire preuve de force de conviction pour convaincre nos coll\u00e8gues de revenir pour travailler ensemble.<\/p>\n

En fait, en tant que vice-pr\u00e9sidente et membre de la majorit\u00e9, j\u2019ai appris dans cette Assembl\u00e9e, \u00e0 mettre en \u0153uvre les principes du dialogue inter-religieux et interculturel.<\/p>\n

J\u2019ai appris \u00e9galement \u00e0 patienter et \u00e0 \u00eatre un facteur de s\u00e9r\u00e9nit\u00e9. Bien s\u00fbr, je n\u2019ai pas toujours r\u00e9ussie et mon groupe parlementaire n\u2019a pas toujours donn\u00e9 l\u2019exemple dans ce domaine.<\/p>\n

Au d\u00e9but, je pensais que j\u2019\u00e9tais suffisamment arm\u00e9e avec le bagage que j\u2019ai amen\u00e9 avec moi, de mon exp\u00e9rience dans la soci\u00e9t\u00e9 civile, en \u00e9tant convaincu que j\u2019avais connu les types de dialogues les plus difficiles.<\/p>\n

En r\u00e9alit\u00e9, l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 est beaucoup plus facile \u00e0 vivre que le rapport de la similarit\u00e9, car quand on est oppos\u00e9, on va s\u2019efforcer \u00e0 chercher des points communs, mais l\u00e0, nous sommes le m\u00eame peuple, avec la m\u00eame histoire et la m\u00eame langue !<\/p>\n

Au d\u00e9but de cette r\u00e9volution, on s\u2019\u00e9tait dit que malgr\u00e9 toutes nos diff\u00e9rences, on se ressemble. Que Nenni ! Et c\u2019est \u00e7a la politique, c\u2019est faire la guerre par les mots et veiller \u00e0 ne pas changer cette guerre des mots en guerre dans la rue.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 le grand d\u00e9fi. Comment garder le lien avec l\u2019autre. Nous n\u2019avons pas besoin d\u2019\u00eatre identique, mais juste besoin d\u2019avoir un d\u00e9nominateur commun et d\u2019accepter la diff\u00e9rence sans envenimer les blessures.<\/p>\n

Ce que j\u2019ai essay\u00e9 de partager avec mon groupe parlementaire, c\u2019est de ne pas r\u00e9pondre \u00e0 la provocation, en rappelant que nous avons la force num\u00e9rique, mais de supporter les incompr\u00e9hensions, de temp\u00e9rer et de mitiger, afin d\u2019arriver \u00e0 un consensus.<\/p>\n

Ce consensus est tr\u00e8s co\u00fbteux. Il est co\u00fbteux au sein de l\u2019Assembl\u00e9e, parce que tous les coll\u00e8gues ne voient pas \u00e7a d\u2019un bon \u0153il mais aussi par nos bases populaires dans le pays, cependant, je pense que le propre du leadership politique, c\u2019est d\u2019oser d\u00e9plaire aux bases, pour le bien de tout le pays. Ce que j\u2019ai appris finalement, c\u2019est \u00e0 \u00eatre plus tunisienne que Nahdhaoui.<\/p>\n

Je pense qu\u2019Ennahdha a \u00e9t\u00e9 souvent en difficult\u00e9 mais que nous avons su nous y prendre, notamment gr\u00e2ce au leadership du parti. Dr Aldelmajid Najar, par exemple, cet homme si discret a permis une lecture et une explication de l\u2019Article Premier qui nous a beaucoup aid\u00e9 \u00e0 rapprocher et r\u00e9concilier Islam et d\u00e9mocratie.<\/p>\n

Ce groupe parlementaire a \u00e9t\u00e9 souvent sollicit\u00e9 par les autres partis et sa relation avec le CPR et Ettakatol n\u2019est pas aussi facile que ce que l\u2019on croit. C\u2019est vrai que nos coll\u00e8gues ont souvent \u00e9t\u00e9 une sorte d\u2019aide pour nous contre nous-m\u00eames, ils avaient des exigences et des besoins vis-\u00e0-vis de leurs bases \u00e9lectorales.<\/p>\n

Nous avons appris qu\u2019\u00eatre dans un partenariat ne veut pas forc\u00e9ment dire \u00eatre toujours d\u2019accord. Malgr\u00e9 les couacs de cette tro\u00efka et malgr\u00e9 les difficult\u00e9s, c\u2019est une exp\u00e9rience extraordinaire \u00e0 refaire.<\/p>\n

On a beaucoup appris, personnellement en c\u00f4toyant un homme comme Mr Mustafa Ben Jaafar, j\u2019ai \u00e9conomis\u00e9 10 ans de pratique politique. J\u2019ai beaucoup appris et j\u2019\u00e9tais \u00e0 la bonne \u00e9cole. Bien s\u00fbr, il y a eu des dissensions et malgr\u00e9 le respect des consignes de vote et la discipline, il y a eu des personnalit\u00e9s fortes qui se sont exprim\u00e9es et qui ont os\u00e9 s\u2019opposer.<\/p>\n

Je dirais que nous sommes le parti politique au fonctionnement le plus d\u00e9mocratique. Nous discutons, nous avons des positions oppos\u00e9es et contradictoires, mais une fois que le vote tranche, tout le monde respecte la d\u00e9cision.<\/p>\n

J\u2019ai grandis avec une certaine culture, impr\u00e9gn\u00e9e de mon exp\u00e9rience fran\u00e7aise et de mes \u00e9tudes d\u2019Anglais. Je me suis sp\u00e9cialis\u00e9e dans la traduction des textes religieux islamiques et en tant que fille d\u2019imam, j\u2019\u00e9tais passionn\u00e9e par ces questions. Malgr\u00e9 mon approche lib\u00e9rale, je n\u2019ai jamais trouv\u00e9 de difficult\u00e9 \u00e0 coexister avec quelqu\u2019un comme Habib Ellouze, qui est plut\u00f4t traditionnaliste et conservateur.<\/p>\n

Il y a cette capacit\u00e9 d\u2019\u00e9coute et de discussions au sein d\u2019Ennahdha qui nous a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s utile pour pr\u00e9server l\u2019unit\u00e9 de la Tunisie, m\u00eame pendant les moments les plus durs, quand il y avait une foule \u00e9norme devant l\u2019Assembl\u00e9e lors du sit-in de Bardo en Ao\u00fbt 2013 et que l\u2019on nous accusait d\u2019\u00eatre des assassins. Ou encore lorsque Mohsen Marzouk y d\u00e9clarait que lui et son groupe avait le sang rouge et que nous, nous avions le sang noir. Face \u00e0 ce genre de discours fascisant et excluant, nous avions peur.<\/p>\n

Bien heureusement, la menace du conflit de la rue s\u2019est dissip\u00e9e et nous n\u2019avons pas r\u00e9pondu aux provocations. D\u2019ailleurs, si nous devions n\u2019avoir fait qu\u2019une chose, ce serait celle-l\u00e0 !<\/p>\n

R\u00e9ussir, c\u2019est parvenir \u00e0 ramener les diff\u00e9rents acteurs de la sc\u00e8ne politique tunisienne autour d\u2019une table de n\u00e9gociation et d\u2019arriver aujourd\u2019hui \u00e0 voter la constitution. Ceux qui ne nous connaissent pas, se demande comment nous avons r\u00e9ussi \u00e0 faire \u00e7a, que c\u2019\u00e9tait par peur ou parce que la pression \u00e9tait grande, mais en fait, ils ne savent pas qu\u2019une grande partie des hommes et des femmes d\u2019Ennahdha ont v\u00e9cus dans de v\u00e9ritables d\u00e9mocraties et qu\u2019ils savent \u00e0 quel point le d\u00e9bat est important pour \u00e9tablir un cadre d\u00e9mocratique.<\/p>\n

Il est vrai que la pression entretenue par l\u2019opposition et les organisations de la soci\u00e9t\u00e9 civile a contribu\u00e9 \u00e0 la fois \u00e0 cr\u00e9er la crise et \u00e0 sortir de la crise.<\/p>\n

Que dites-vous du r\u00f4le des femmes au sein de l\u2019ANC et de votre parcours en tant que femme politique dans une Tunisie post-r\u00e9volutionnaire?<\/strong><\/p>\n

Jamais je ne me sentis aussi seule que le jour o\u00f9 j\u2019ai \u00e9t\u00e9 \u00e9lue vice-pr\u00e9sidente de cette Assembl\u00e9e. Le fait que personne ne vienne me poser des questions juste apr\u00e8s mon \u00e9lection me paraissait normal, apr\u00e8s tout, comme le disait Beji Caid Essebsi, nous \u00e9tions tous des \u00ab bleus \u00bb et puis il n\u2019y avait pas vraiment de femme politique en Tunisie, \u00e0 part Maya Jribi, aucune n\u2019avait v\u00e9ritablement marqu\u00e9 la vie politique tunisienne contemporaine.<\/p>\n

Apr\u00e8s le soir de cette premi\u00e8re s\u00e9ance pl\u00e9ni\u00e8re de l\u2019ANC, apr\u00e8s mon \u00e9lection, je me suis dit que quelqu\u2019un viendrait me dire \u00ab qui \u00eates-vous ? \u00bb. Et bien non, aucun journaliste n\u2019est venu me poser la question. Au d\u00e9but, j\u2019ai trouv\u00e9 cela injuste et peu compr\u00e9hensible, aujourd\u2019hui, je me rends compte avec de la distance que les m\u00e9dias ne donnaient aucune importante \u00e0 cela parce qu\u2019on ne pr\u00eatait pas beaucoup d\u2019attention aux femmes politiques en Tunisie avant la R\u00e9volution.<\/p>\n

Je pense que je me suis fait conna\u00eetre le jour o\u00f9 j\u2019ai pr\u00e9sid\u00e9 la s\u00e9ance pl\u00e9ni\u00e8re pour la premi\u00e8re fois. C\u2019\u00e9tait un jour o\u00f9 Mustafa Ben Jaafar avait une r\u00e9union avec des invit\u00e9s am\u00e9ricains et j\u2019ai donc d\u00fb le remplacer. Je n\u2019oublierai jamais ce moment alors que nous votions justement l\u2019article de la petite constitution qui traitait de l\u2019ind\u00e9pendance de la justice.<\/p>\n

Il y a eu une grande disputes entre deux grosses pointures, Mr Chebbi et Mme Jribi d\u2019un c\u00f4t\u00e9 et Mr Bhiri de l\u2019autre. Au milieu de ce beau monde, moi, je me demandais comment jongler avec cela. C\u2019est \u00e0 ce moment-l\u00e0 que Mourad Maamdouni s\u2019est lev\u00e9 pour m\u2019invectiver violemment.<\/p>\n

A l\u2019int\u00e9rieur de moi-m\u00eame, je tremblais, car je n\u2019avais m\u00eame pas de r\u00e8glement int\u00e9rieur \u00e0 suivre, mais l\u2019un des fonctionnaires du Parlement, m\u2019avait dit une fois que dans les r\u00e8glements ant\u00e9rieurs, si un \u00e9lu manquait de respect au pr\u00e9sident de l\u2019Assembl\u00e9e, ce dernier avait le droit de l\u2019appeler \u00e0 une s\u00e9ance disciplinaire.<\/p>\n

Et l\u00e0, je prends mon courage \u00e0 deux mains, je me l\u00e8ve, je l\u00e8ve la s\u00e9ance pl\u00e9ni\u00e8re et je convoque l\u2019\u00e9lu. Je crois qu\u2019\u00e0 ce moment, mes coll\u00e8gues ont pu voir que je pouvais \u00eatre une femme forte, imposer ma volont\u00e9 et surtout faire taire un homme qui avait d\u00e9pass\u00e9 les limites.<\/p>\n

Et puis petit \u00e0 petit, j\u2019ai d\u00e9couvert que malgr\u00e9 les slogans de l\u2019ancien r\u00e9gime, la femme tunisienne \u00e9tait plut\u00f4t une femme sous tutelle. Ma mission \u00e0 moi et \u00e0 mes coll\u00e8gues, c\u2019est de lever cette tutelle, celle exerc\u00e9 par les hommes et par les partis.<\/p>\n

J\u2019ai m\u00eame eu mes moments de conflits avec les hommes, dont le pr\u00e9sident de mon groupe parlementaire, quand par exemple j\u2019ai d\u00fb dire non, j\u2019ai dit non. C\u2019est une nouvelle fa\u00e7on d\u2019\u00eatre en politique qui a commenc\u00e9 \u00e0 se forger. Etre une femme politique en Tunisie, c\u2019est aussi s\u2019exposer \u00e0 toutes sortes de critiques malvenues. On a tout cherch\u00e9, mon salaire, soit disant en euros, sup\u00e9rieur \u00e0 celui du pr\u00e9sident de l\u2019Assembl\u00e9e, mieux encore, sup\u00e9rieur \u00e0 celui du pr\u00e9sident de la r\u00e9publique, on m\u2019a pr\u00eat\u00e9 l\u2019acquisition de toutes sortes de propri\u00e9t\u00e9, \u00e0 Gammarth, \u00e0 Sousse, des voitures luxes\u2026 j\u2019ai eu l\u2019impression d\u2019\u00eatre devenue un peu devenue la Margaret Tchacher au foulard.<\/p>\n

Pour moi, faire de la politique, c\u2019est s\u2019imposer quand cela est n\u00e9cessaire, c\u2019est savoir donner la parole quand il le faut et faire appliquer le r\u00e8glement quand il le faut.<\/p>\n

J\u2019ai l\u2019impression que cette ambiance inspire beaucoup de femmes dans l\u2019Assembl\u00e9e et je remarque que les observateurs de la sc\u00e8ne politique tunisienne voient que les femmes politiques prennent de la visibilit\u00e9 et qu\u2019elles sont plus hardies dans la prise de d\u00e9cision, dans leur prise de position, dans la d\u00e9fense de leurs opinions, et leurs id\u00e9es.<\/p>\n

Elles ont saisis l\u2019opportunit\u00e9 du sit-in du Bardo pour se mettre en avant, comme Maya Jribi, Selma Bacar ou encore Nadia Chaabane. Nous avons eu des jeunes \u00e9lues qui ont montr\u00e9 un autre nouveau visage de femme politique. Noura Belhassen, Lobni Jribi, par exemple. Mais aussi Loubna Bennasser dont le parti boycottait l\u2019ANC. Je n\u2019oublierai pas comment elle s\u2019est oppos\u00e9 et \u00e0 oser d\u00e9fier le parti, m\u00eame si elle s\u2019est fait exclure des instances.<\/p>\n

Je sens qu\u2019il y a un nouveau mod\u00e8le de femme politique qui n\u2019est pas sous tutelle, je pense que l\u2019article 45 dans la Constitution, port\u00e9 et cautionn\u00e9 par mon groupe parlementaire, est un acquis bien m\u00e9rit\u00e9 pour les femmes tunisiennes.<\/p>\n

Le fait que l\u2019Etat favorise la pr\u00e9sence des femmes dans toutes les instances \u00e9lues, cela signifie que l\u2019Etat favorise la candidature des femmes et cela va appuyer les femmes tunisiennes dans leurs d\u00e9marches.<\/p>\n

M\u00eame si, je ne con\u00e7ois pas que cela est possible sans sp\u00e9cifier dans le code \u00e9lectoral des provisions pour obliger les partis politiques \u00e0 mettre ces dispositions en \u0153uvre.<\/p>\n

Comment va-t-on avoir des femmes leaders politiques s\u2019il n\u2019y a pas au sein des partis des m\u00e9canismes qui les obligent \u00e0 r\u00e9server des positions pour les femmes ?<\/p>\n

Je reconnais bien le fait que dans les cinquante ann\u00e9es pass\u00e9es, nous avons eu des femmes politiques extraordinaires comme Radhia Haddad ou Fethia Mzali mais elles \u00e9taient toutes tributaires du parti au pouvoir et des hommes qui les ont plac\u00e9s l\u00e0.<\/p>\n

Je pense que nous sommes \u00e0 un moment o\u00f9 enfin, les femmes politiques peuvent faire leur chemin gr\u00e2ce \u00e0 ce qu\u2019elles sont et ce qu\u2019elles proposent mais aussi gr\u00e2ce \u00e0 la loi et aux droits offerts par la Constitution.<\/p>\n

On me reproche parfois d\u2019\u00eatre en avance par rapport \u00e0 mon groupe parlementaire, mais cette position est aussi celle de certains membres de notre famille politique, notamment du pr\u00e9sident de notre parti et j\u2019ai toujours trouv\u00e9 chez Mr Rached Ghannouchi un soutien permanent et convaincu. Je ne suis pas l\u00e0 pour faire de la figuration, mais pour exercer mes pr\u00e9rogatives, \u00eatre une femme de conviction, une femme qui a une opinion, une femme qui a une pr\u00e9sence et une pr\u00e9sence effective.<\/p>\n

Pour moi, le combat ne fait que commencer pour imposer la femme dans la vie politique non pas parce qu\u2019un homme politique le veut, mais parce qu\u2019elle, elle le veut.<\/p>\n

Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?<\/strong><\/p>\n

Vous savez, il y a en politique, ce que j\u2019appelle le fait purgatoire, \u00e0 la fin d\u2019un mandat, les hommes politiques passent par une \u00e9tape qui leur permet de rena\u00eetre sous une forme positive. Je pense qu\u2019il y aura un effet purgatoire collectif avec l\u2019adoption de la Constitution.<\/p>\n

Si on arrive \u00e0 l\u2019adopter, il y aura un effet de r\u00e9demption pour nos politiques, m\u00eame si certains m\u00e9dias et certains groupes ont r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9go\u00fbter beaucoup de citoyens de la politique et m\u00eame de leur faire regretter d\u2019avoir soutenu la R\u00e9volution.<\/p>\n

Je pense donc que cela va lib\u00e9rer les grands partis politiques d\u2019un grand poids. Notamment celui de la transition car elle aura enfin ses propres m\u00e9canismes pour marcher.<\/p>\n

Ainsi, malgr\u00e9 toutes les difficult\u00e9s, sur le plan \u00e9conomique, au niveau s\u00e9curitaire et politique m\u00eame, je pense que nous sommes sur la bonne voie pour mettre en marche cette R\u00e9volution. D\u2019abord gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019ISIE et le code \u00e9lectoral \u00e0 venir, la fixation des dates des \u00e9lections, la mise en application de la Constitution puis avec la mise en place de la Cour Constitutionnelle.<\/p>\n

La naissance de la d\u00e9mocratie, comme toute naissance, est douloureuse, mais apr\u00e8s la douleur, il y a aussi le moment o\u00f9 l\u2019on commence \u00e0 se r\u00e9jouir. Je suis tr\u00e8s positive pour la suite, d\u2019autant que je consid\u00e8re n\u2019\u00eatre qu\u2019un \u00e9l\u00e9ment dans ce grand mouvement et il y a beaucoup de comp\u00e9tences et de volont\u00e9s qui nous entourent.<\/p>\n

Ces deux derni\u00e8res ann\u00e9es, j\u2019ai travaillais pour r\u00e9aliser la mission qui f\u00fbt la n\u00f4tre afin que se concr\u00e9tise une part des aspirations des Tunisiens, \u00e0 savoir, une Constitution \u00e9quitable et une transition vers la d\u00e9mocratie r\u00e9ussie. Quant \u00e0 la suite, je serais l\u00e0 o\u00f9 mon parti m\u2019appellera et je fais confiance \u00e0 ce parti.<\/p>\n

Je serais l\u00e0 o\u00f9 ma conscience et mon sens citoyen me guideront. M\u00eame si je devais revenir devant mon ordinateur comme traductrice ou \u00e9crivain, je serais tr\u00e8s heureuse, car \u00e7a sera la meilleure des places.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Pourquoi la Tunisie a choisi d\u2019avoir une Constitution \u00e9crite par une assembl\u00e9e nationale constituante \u00e9lue et non\u00a0un comit\u00e9 d\u2019experts ? Cela ressemble plus au peuple tunisien. Les \u00e9lus qu\u2019il a envoy\u00e9 ici par le biais des \u00e9lections d\u2019Octobre 2011 devaient \u00e9crire cette constitution afin de respecter les demandes r\u00e9volutionnaires. Il nous fallait discuter afin de […]<\/p>\n","protected":false},"author":12,"featured_media":1259,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[146],"tags":[50,51,59,60,44],"class_list":["post-1104","post","type-post","status-publish","format-standard","has-post-thumbnail","hentry","category-interviews-constit-elections","tag-anc","tag-constitution","tag-mehrzia-labidi","tag-nahdha","tag-tunisie"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/posts\/1104","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/12"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=1104"}],"version-history":[{"count":3,"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/posts\/1104\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1109,"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/posts\/1104\/revisions\/1109"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1259"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=1104"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcategories&post=1104"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/www.jasminefoundation.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Ftags&post=1104"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}