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IVD, Une hyper-institution au service de la Justice Transitionnelle en Tunisie

Une institution inclassable dotée de très larges pouvoirs

L’affaire des archives présidentielles à révéler l’incompréhension qui régnait quant aux attributions et pouvoir de l’Instance Vérité et Dignité (ci-après IVD ou Instance).

En effet, cette institution crée par la loi organique du 24 décembre 2013, peine encore à se positionner avec clarté parmi les institutions publiques tunisienne. Les finalités et prérogatives qui lui sont conférées par la loi, en font en personne morale sui generis.

À mi-chemin entre l’institution judiciaire et l’agence administrative indépendante, l’IVD demeure inclassable, ce qui n’est pas sans soulever incompréhensions et défiance.
Pour comprendre la marche de manœuvre de l’IVD, il faut revenir à la loi qui organise son fonctionnement. Celle-ci confie à l’IVD de très large pouvoir d’enquête, d’instruction, mais aussi de règlement des litiges.

À titre d’illustration, la loi organique dispose, qu’est accordé à l’IVD la capacité à recevoir les plaintes, et d’instruire les violations par tous moyens nécessaires dans le respect des droits de la défense, ou encore la possibilité de convoquer toute personne, sans qu’aucune immunité puisse lui être opposée. Elle peut aussi avoir recours à l’assistance de la force publique pour exécuter ses décisions. En soit, la loi organique offre à l’Instance, tous les mécanismes possibles afin de poursuivre sa mission de révélation de la vérité.

Concernant les archives, qui sont le nerf de la guerre de toute entreprise d’exploration du passé. L’IVD à les pleins pouvoirs pour accéder et saisir toutes archives, d’obtenir tous documents et informations. Qu’ils soient détenus par des personnes publiques ou privées, et ce, en dépit des éventuelles limitations légales, tel que le secret professionnel ou éventuellement le secret-défense.

L’IVD cumulerait donc d’une certaine façon, les pouvoirs classiquement dévolus au parquet et ceux confiés au juge. Cette confusion de pouvoirs traditionnellement séparés afin de préserver l’impartialité de la Justice peut surprendre. Ainsi, comment justifier un tel cumul des pouvoirs pour l’institution incarnant aujourd’hui le mieux l’idée de Justice en Tunisie ?

Concentration des pouvoirs et célérité de la Justice

La première raison qui commande la concentration des attributions au sein de l’IVD est d’ordre pratique, elle a trait à la célérité des procédures. Le principe de célérité est inhérent au droit au procès équitable, lui-même consacré par la loi organique du 24 décembre 2013. Ainsi, si la Justice doit se garder d’être expéditive, elle doit toutefois être rendue dans un délai raisonnable.

À ce propos, il convient de rappeler, que le mandat accordé à l’IVD par la loi, est de quatre années seulement, plus une année de prolongation après assentiment de l’Assemblée des représentants du peuple (le Parlement tunisien). En outre, le délai de dépôt des plaintes, est limité à un an seulement à compter du 15 décembre 2014.

Le mandat accordé à l’IVD pour explorer plus de cinquante ans d’Histoire tunisienne est d’une concision certaine. Il assujettit l’Instance à une contrainte temporelle constante pour traiter les dossiers en un temps record.

Comme nous l’avons vu, la loi donne un mandat très large à l’IVD pour saisir elle-même et examiner les archives de toutes institutions publiques tunisiennes. Lors de l’affaire des archives présidentielles, Sihem Bensedrine, présidente de l’IVD, a réaffirmé l’importance pour l’IVD de procéder elle-même à l’archivage des près de 30 000 boites d’archives conservées au Palais de Carthage. En effet, l’inventaire d’un fonds de 100 boites d’archives par les Archives Nationales Tunisiennes nécessite en moyenne trois mois de travail.

  Dans ce contexte, charger l’IVD de toutes les taches et pouvoirs nécessaires à la révélation de la vérité s’avèrent un choix pragmatique, commandé par une urgence indéniable.

IVD et monde judiciaire, entre défiance et coopération

La largesse des pouvoirs de l’IVD, peut aussi se justifier par la difficulté des objectifs à atteindre dans un environnement judiciaire sensible.

En effet, la Justice tunisienne souffre d’un déficit de confiance de la part des citoyens. Elle est souvent perçue comme opaque et inique. Notamment parce qu’elle a longtemps été le bras sentencieux d’un pouvoir autoritaire. Face à ce constat, comment engager les Tunisiens dans un processus de justice, alors qu’ils ne se fient pas à leur appareil judiciaire ? La création de l’IVD et le fait qu’elle soit en charge de toutes les étapes de l’enquête jusqu’à règlement du litige, est donc censé pallier la carence du corps juridique tunisien à s’acquitter lui même de cette tâche épineuse.

Toutefois, l’administration judiciaire n’est pas totalement écartée du processus de Justice transitionnelle.

En effet la loi organique dispose que l’IVD à l’obligation de transmettre au ministère public, les dossiers dans lesquels sont prouvées des violations graves de droit de l’homme, tels que les homicides volontaires, violences sexuelles, torture et disparition forcée. À cet effet, la loi prévoit la création de chambres criminelles spécialisée qui seront chargées d’examiner les cas transmis. Un décret du 8 août 2014 portant application de la loi organique du 23 décembre 2013, a institué ces chambres spécialisées au sein des tribunaux d’instance siégeant dans les cours d’appel de Tunis, Gafsa, Gabes, Sousse, Sfax, Le Kef, Bizerte, Kasserine, et Sidi Bouzid.

La coopération avec la Justice ne s’arrête pas à une simple transmission des dossiers. L’IVD est sensé être informée de toutes mesures prises dans ces dossiers par le pouvoir judiciaire.

En outre, le principe d’autorité de la chose jugée, par lequel le juge grave dans le marbre ses décisions, et les rend hermétiques à d’éventuelle révision ne peut être opposé à l’IVD. Cela signifierait donc, que l’Instance à toute latitude pour réexaminer n’importe qu’elle décisions de justice rendue ces cinq dernières décennies qui seraient en relation avec son mandat.

 Enfin, il convient de souligner que la loi organique insiste sur le fait que ces chambres criminelles spécialisées, devront être exclusivement composées de magistrats n’ayant jamais pris par à des procès politiques sous l’Ancien Régime. La loi consacrerait donc une défiance réelle et assumée envers un corps judiciaire qui aurait trahi son serment de rendre justice en toute impartialité.

Un mariage de raison pour un but supérieur

Ce lien consacré par la loi entre une Justice tunisienne qui peine à se réformer et l’IVD, institution post-révolutionnaire, ressemble à un mariage de raison. Pour faire prospérer cette union, les deux protagonistes devront redoubler d’efforts pour se partager le traitement des dossiers, et orienter des justiciables qui pourraient être déroutés par cette procédure mi-judiciaire, mi-arbitrale.

L’organisation de la Justice transitionnelle est complexe et peut désorienter, mais sa complexité est justifiée par l’ampleur du problème à résoudre et la gravité du but supérieur à atteindre.

 L’Instance Vérité et Dignité, hyper-institution au service de ce processus, est donc légitimement dotée de tous les pouvoirs nécessaire à l’accomplissement d’une mission qui cristallisent les idéaux et les espoirs des Tunisiens en terme de Justice.

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